lundi 10 janvier 2011

Critique : Ultimate Captain America # 1

TEXTE : Jason Aaron
DESSIN et ENCRES : Ron Garney
COULEURS : Jason Keith
LETTRAGE : Clayton Cowles

Certains se souviendront que, lorsque j’ai exposé sans pudeur mes résolutions pour 2011, j’avais précisé que je tenterais de m’éloigner des comics de super-héros pour explorer un peu plus les autres genres que ce médium a à offrir. Or, peut-on trouver un icône plus fameux du monde en collants que le bon vieux capitaine en bleu, blanc et rouge?

J’en conviens : voilà que vous m’avez déjà pris la main dans la jarre à biscuit, alors que de l’autre je tiens encore la plume qui a servi à signer mon abonnement Weight Watchers. Cependant, je vous ferai remarquer, non sans prendre le temps de bien mastiquer ma gâterie, que j’avais aussi résolu de tenter ma chance avec d’autres œuvres de mes créateurs préférés.

AHA (comme s’écrirait un type en sarreau blanc), Jason Aaron!

L’homme en question a suscité un certain brouhaha la semaine passée en invitant Alan Moore à aller se faire foutre, mais ce n’est pour cela que son nom a capté mon attention. Jason Aaron écrit des comics depuis bientôt dix ans et produit  des scripts de très haute qualité (PunisherMAX, Wolverine, Joker’s Asylum : Penguin). Sa série originale Scalped, dans la ligne Vertigo de DC, est un succès continuel chez les critiques et sa mini-série The Other Side lui a valu une nomination pour un Eisner en 2007.

Et comme il n’est pas avare de son talent, il consent à partager son expérience d’écrivain professionnel dans sa chronique Where the Hell Am I? sur le site de Comic Book Resources.  C’est une lecture que je vous conseille vivement. Tiens, tant qu’à vous donner des devoirs, voici également deux de ses scripts.

Bref, quand j’aperçois le nom de Jason Aaron sur une couverture, je sais que mon cerveau se régalera d’un bon texte.

J’ai donc surmonté ma nouvelle résolution ainsi que mon dédain naturel de Marvel et de ses stratégies de marketing douteuses pour me délecter de  l’œuvre de cet homme dont le talent et la barbe se dispute l’honneur d’être plus évident que l’autre.

Dès le début, on reconnaît les dialogues brutaux et directs d’Aaron. Bien que vaincu dès la première page, son Captain America est résigné mais défiant. On reconnaît à la lecture que l’auteur a fait du personnage un soldat avant tout, mais il  n’oublie quand même jamais d’en faire un héros non plus. La capitaine parle en soldat, il agit comme un guerrier impulsif, il a la confiance frôlant l’arrogance d’un homme qui a l’expérience du combat et qui y a survécu.

Cependant, sous toute cette bravade, on voit aussi l’homme bon, brave et généreux qui n’hésite pas à être le premier à aller au-devant du danger. On peut ainsi lui pardonner un peu de chauvinisme, de la même façon qu’on excuse son grand-père de refuser de toucher au Nintendo parce que "ces salauds pensaient bien nous avoir à Pearl Harbour".

On constate également l’aspect soldatesque du Capitaine par le fait qu’il aborde les conflits dans ce comic comme des affrontements militaires : il a devant lui des ennemis qu’il doit vaincre et non pas des malfaiteurs qu’il doit appréhender. Cette touche de réalisme est la bienvenue quand on garde à l’esprit l’origine de ce personnage : Steve Rogers est devenu Captain America parce que son gouvernement a voulu créer une arme capable d’assurer aux Alliés la victoire sur les forces de l’Axe. Dans ce cas, il serait mal venu de voir ce qui est essentiellement une arme humaine rechigner devant  un peu de sang.

Si, sous cette lumière, j’applaudis le caractère brusque et cavalier du texte, je déplore cependant deux choses. La première tient au caractère mélodramatique de certaines répliques mises dans la bouche du vilain principal. Ce dernier s’avère l’antithèse la plus efficace et la plus juste qu’on puisse opposer à un personnage comme Captain America (je n’en dis pas plus pour ne pas vendre la mèche). C’est donc dommage qu’Aaron lui fasse mastiquer d’aussi grosses bouchées de texte durant une scène d’action; c’est un peu maladroit et ça gâche l’image d’un personnage qu’on devrait aimer détester plutôt que l’inverse.

Mon second reproche est plus excusable en considérant l’incarnation de Captain America comme soldat. Un soldat a comme devoir de défendre son pays, le plus souvent contre les soldats du pays d'en face. Ainsi, il est difficile d’échapper à l’obligation d’associer un caractère nationaliste aux antagonistes. À l’époque de sa création, le capitaine combattait les nazis, puis il s’est élevé contre le communisme; de nos jours, ce sont les méchants-méchants Nord-Coréens qui jouent les mauvais larrons. Bon, j’imagine que Marvel s’attendait bien à ne rien vendre là-bas…

Parlant de Marvel, j’aurais bien aimé qu’ils se dispensent de promouvoir leurs autres lignes dans le récit de ce numéro. Ça sent l’éditeur à plein nez quand on a un personnage comme Hawkeye qui apparaît pour deux répliques, histoire de bien rappeler aux gens qu’ils devraient acheter Ultimate Avengers aussi. Un premier numéro, ça devrait d’abord servir à vendre le numéro 2 et les quelques suivants, pas à donner l’impression au lecteur qu’il n’y comprendra rien dès le mois prochain à moins de se constituer une documentation de recherche dans l’inventaire de la compagnie.

(Bon, je ne voulais pas en parler mais les six pages de promotion pour Age of X m’ont aussi fait monter la mutante – pardon, la moutarde au nez.)

Qu’est est-il du dessin? Les crayons de Ron Garney sont nerveux et impulsifs, ce qui cadre assez bien avec toute l’action dont déborde ce comic. On se trouve parfois interloqué par les expressions sur certains visages, mais ces grimaces sont tellement de circonstance vu les événements qui se déroulent qu’elles finissent par nous sembler tout à fait naturelles.

 Si l’on peut reprocher une chose au visuel, c’est la façon incohérente  dont sont chorégraphiés les combats. Les gens semblent réagir à des coups qui ne viennent de nulle part et les gestes se suivent d’une case à l’autre sans qu’on puisse vraiment comprendre comment on est passé au prochain. C’est d’autant plus étrange que, d’une part, la mise en page est assez conventionnelle : pour la majorité des pages, on retrouve une belle grille noire dont seule la grandeur et le nombre des cases viennent donner le rythme à l’action. D’autre part, quand on assiste plutôt à des conversations, tout coule sans heurt. On croirait que l’artiste aurait tendance à escamoter des étapes pendant ces moments tranquilles et de plutôt tirer toute la substance possible des scènes plus mouvementées.

Défi pour ceux d’entre vous qui ont l’œil perçant : essayez de trouver le batarang à quelque part dans ces pages. La semaine passée, c’était DC qui dissimulait Iron Man dans un comic; cette semaine, Marvel prend sa revanche avec Batman.

Le verdict final? Si vous êtes fan de Captain America et des Avengers, vous avez la chance d’avoir un auteur exceptionnel à la barre de cette nouvelle série. Jason Aaron démontre une compréhension intime de ce personnage trop souvent réduit  au statut de simple symbole patriotique et je ne serais pas étonné qu’il fasse de nouveaux convertis.

Pour ma part, je continuerai à profiter du talent de M. Aaron du côté de Vertigo avec Scalped, sous un ciel exempt des nuages de marketing d’un éditeur trop enthousiaste.

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