lundi 17 janvier 2011

Critique : The Infinite Vacation # 1

TEXTE : Nick Spencer (et Kendall Bruns pour certaines pages)
DESSIN et ENCRES : Christian Ward (et Kendall Bruns pour certaines pages)
LETTRAGE : Jeff Powell

OK wow.

Pour la première fois depuis longtemps, je suis complètement soufflé par un comic. Ça faisait une éternité que je n’avais pas terminé ma lecture par un insatiable besoin de lire le prochain numéro. On pourrait dire que The Infinite Vacation # 1 nous laisse sur notre faim, mais pas parce qu’il nous reste de la place, plutôt parce qu’on veut continuer de s’empiffrer malgré notre estomac qui menace d’éclater.

Avant de procéder à la critique elle-même, je dois prendre un moment pour vous parler du concept sous-tendant The Infinite Vacation. Alors voilà : nous sommes dans un futur pas trop éloigné – le type qu’on n'a toujours pas de vaisseau spatial mais on porte quand même d’étranges chaussures – et il est maintenant possible de faire commerce de l’infinie variété de nos vies alternatives. Par exemple : vous vous emmerdez au bureau et vous avez un peu d’argent de côté; pourquoi ne pas changez de vie pour celle dans laquelle vous êtes resté au lit? Seulement 2 999 $! Évidemment, plus les variations entraînent des changements marqués et bénéfiques, plus le coût augmente, car les « vendeurs » ne sont nul autre que les autres versions de vous qui ont fait des choix différents.

Notre protagoniste, Mark, est un habitué hardcore de ce type de transaction. Il nous l’avoue candidement et le récit se charge bien de nous présenter sa consommation de vies parallèles comme un automatisme qui tient de la dépendance. Mais peut-être se disciplinera-t-il un peu plus en prenant conscience que les autres Marks ont commencé à passer de vie à trépas à un rythme alarmant.

Nick Spencer nous sert un nouveau texte dont la prose vivante et actuelle est un véritable délice pour l’esprit. La majeure partie se trouve dans des rectangles de narration, ce qui est un peu dommage vu que Spencer brille habituellement dans les dialogues. J’aurais aimé lire plus d’échanges entre Mark et d’autres personnages (ou même avec lui-même) , mais la nécessité de bien expliquer les circonstances entourant l’intrigue sont souvent un mal nécessaire du premier numéro d’une mini-série.
Une gueule de vendeur d'assurance...
sûrement un méchant!

D’ailleurs, le plus gros morceau d’exposition nous est parachuté par le biais d’une séquence spéciale sous guise de publicité pour la compagnie éponyme The Inifinite Vacation qui permet tout ce merveilleux commerce. C’est une idée originale et intéressante sur le plan visuel (les dessins de Ward font place à un style photo-roman auquel a collaboré Kendall Bruns), mais on ne peut s’empêcher de se sentir gavé de force comme une oie sur le point de transcender de son existence de volatile à celle de pâté.

L’idée derrière The InfiniteVacation est très riche, mais elle est aussi très complexe. Spencer ne prend pas de chance et nous lance le tout dès les premières pages. D’une part, c’est très pratique, mais de l’autre, le lecteur se sent bousculé et, ma foi, quelque peu intimidé. Comme un néophyte qui se fait expliquer en dix minutes comment se déroulera son premier saut en parachute, je n’ai pas pu m’empêcher de relire deux ou trois fois les pages en photos, de peur de manquer un détail important et ainsi de ne pouvoir pleinement jouir du reste de la série.

Si je devais adresser un autre reproche au texte de Spencer, c’est de nous balancer un belle « morale » toute faite directement de la bouche d’un des personnages. Le message lui-même est intéressant par sa pertinence en regard de notre société moderne; il constitue une mise en garde contre la recherche du plaisir immédiat, contre la consommation abusive des moyens de communication à notre disposition, sans égard pour la façon dont ces nouveaux canaux nous éloignent en fait les uns des autres et surtout de nous-mêmes. The Infinite Vacation incarnerait une allégorie parfaite pour une critique de cet état de choses, n'eut été de cet empressement à s’assurer qu’on a tous bien compris le sens des images qu’elle utilise. Je garde tout de même l'espoir que cette interprétation pré-digérée sera revue de façon subversive dans les prochains numéros.

Mais on ne s’embarrasse pas longtemps de ces peccadilles quand on a l’éblouissant travail de Christian Ward sous les yeux. Il s’agit d’une des rares fois où l’œuvre de l’artiste réussit à faire pardonner les quelques écarts de l’auteur. J’avoue que j’ignorais parfaitement qui était Ward avant The Infinite Vacation. J’ai donc fait quelques recherches qui m’ont permis de mettre la main sur des extraits d’un comic intitulé Olympus. On peut déjà y voir son style très original, mais c’est cette présente collaboration avec Nick Spencer qui lui permet de réellement prendre son envol.

The Infinite Post-It!
C’est un kaléidoscope étourdissant de couleurs et de motifs qui nous saute aux yeux page après page. Le sujet de ce comic se prête heureusement à un traitement visuel complètement éclaté et Ward profite pleinement de l’occasion pour se laisser aller à des fantaisies qui trouveraient leur place justifiée dans une exposition surréaliste. C'est une véritable joie que de chercher les indices visuels et les motifs se répétant d’une page à l’autre. Un exemple d'un motif souvent utilisé est un quadrillage isométrique bleu, blanc et rouge. Je serais tenté de croire que la présence de ce motif est liée à une quelconque influence pernicieuse et secrète de la compagnie The Inifinite Vacation… mais j’essaye peut-être de creuser trop loin. La lecture des prochains numéros confirmera ou non cette hypothèse!

Ward nous offre un dessin qui mélange les couleurs très vives à l’aquarelle et des traits noirs durs et lourds autour de chaque figure. Le tout prend l’apparence d’un vitrail profane et irrévérencieux au travers duquel brille un magnifique soleil d’été. La beauté de ce visuel n’est nulle part plus évidente que lorsqu’il se permet quelques splash pages. Loin de ralentir l'action ou de servir d'excuse pour décompresser le récit, ces dernières nous invitent plutôt à nous arrêter et à bien boire chacun des détails que l’artiste a bien voulu sculpter amoureusement dans le verre et la lumière.

Mon fond d'écran par J. H. Williams III a maintenant de la compétition!
C’est un bel exemple de pertinence entre le dessin et le texte : la réalité du monde que Ward dessine est constamment remise en question. Les couleurs choquent, la mise en page excite, le récit intrigue. D’ailleurs, quand l’univers nous offre des possibilités infinies de changer sa vie à tout moment, n’est-il pas normal de perdre la notion de tout point de référence réel?

The Infinite Vacation nous invite à réfléchir sur la valeur des choix que nous faisons. La société dépeinte par Spencer et Ward a entrepris de mettre un prix sur ces chemins non parcourus de nos destins. Google y expose les conséquences des action non enteprises et eBay en fixe le coût.

À la différence de bien des comics aujourd’hui qui se complaisent dans les mêmes récits, The Infinite Vacation pose des questions qui nous seront peut-être adressées dans un futur qui se rapproche à une vitesse délirante. Dans ce sens, il raconte une histoire véritablement ancrée dans le 21e siècle.

Une chose demeure certaine : le temps passera très lentement d’ici The Infinite Vacation # 2.

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