samedi 8 janvier 2011

Critique : Batman : The Dark Knight # 1

Texte : David Finch
Dessin : David Finch
Encres : Scott Williams
Couleurs : Alex Sinclair
Lettrage : Dave Sharpe
Couverture : David Finch

Avec un mois de retard sur la date annoncée en juillet, Batman: The Dark Knight # 1 s’est déposé sur les tablettes de nos détaillants. Les entrevues, échantillons et diverses annonces qui ont précédé la publication ont décrit un vol majestueux, mais qu’en est-il de l’atterrissage?

Faisons d’abord état du dessin puisque c’est ce qui a été promu le plus depuis le premier communiqué concernant cette nouvelle série. Il n’y a aucun doute : Finch est au sommet de sa forme.

Tout d’abord, la couverture est magnifique. C’est une superbe pièce de style peint qui capture parfaitement le mélange d’histoire et de modernité de Batman et de Gotham City. Je l’ai en affiche sur le mur de mon bureau et elle orne également l’une des parois satinées de mon cubicule au travail.

Le dessin intérieur est à couper le souffle également. Je conviens que les traits texturés assombrissent un peu trop à mon goût les images par endroits, mais je reconnais que Finch dessine un très beau Batman. Ses interprétations visuelles de Killer Croc et du Penguin sont aussi saisissantes dans le sens où, bien que les personnages eux-mêmes sont des êtres difformes et repoussants, Finch rend cette laideur captivante. La ville elle-même reçoit le même traitement artistique, ce qui nous laisse saliver pour les prochains numéros : comment s’y prendra-t-il avec les autres figures sinistres qui gravitent habituellement autour de Batman?

Sur le plan technique, la mise en page est dynamique et variée. Il est rare de voir une grille toute simple sur une page. La majeure partie du temps, les cases déboulent et s’empilent les unes sur les autres. Le prix à payer est une légère confusion quant à la séquence d’action à un endroit ou deux mais, en général, on ne peut s’empêcher d’être emporté par le courant fantastique qui anime les scènes plus actives.

Finch nous fait même cadeau de petits clins d’œil dès la première page : deux des jouets avec lesquels jouent le jeune Bruce Wayne sont ostensiblement une figurine d’Iron Man ainsi qu’une poupée identique aux victimes du Professor Pyg, personnage créé par Grant Morrison.

La seule ombre jetée sur le visuel de ce numéro est imputable aux couleurs dont l’application semble très incohérente tout au long du comic. Par exemple, Sinclair fait passer le masque et la cape de Batman d’un gris anthracite assez moderne au bleu classique silver age et vice versa. De plus – mais c’est peut-être là une consigne de Finch – pourquoi le symbole que Batman arbore sur sa poitrine semble-t-il aussi lumineux, comme un néon ou une lampe de poche? Je n’ai rien contre le fait qu’on soit revenu à l’ancien symbole noir dans une ellipse jaune*, mais doit-on pousser le changement jusqu’à en faire un feu de position? Il me semble que ce soit bien contre-productif pour un justicier nocturne de traiter son emblème comme une plaque d’immatriculation sur une Honda Civic.

*Cette modification du costume constitue moins un retour à la tradition qu’une façon aisée pour le lecteur de distinguer Batman/Bruce Wayne de Batman/Dick Grayson (qui a conservé l’ancien symbole noir sur fond gris).

Ceci dit, mes lecteurs (les trois ou quatre que j’ai) qui me connaissent savent que je suis un amateur de textes en premier. Je suis un grand amoureux des scripts et je peux très bien en lire sans même jamais voir une seule page dessinée en format final. Si j’étais critique musical, je lirais des partitions plutôt que d’écouter les mélodies. Si j’étais critique culinaire, je m’en tiendrais aux recettes.

Pour moi, un comic est d’abord un script. Ce que j’achète chez mon détaillant n'en constitue qu’une interprétation.

David Finch est avant tout un artiste – un artiste au talent impressionnant mais ô combien j’aurais aimé qu’il se soit limité à ce rôle.

Batman : The Dark Knight #1 est une expérience artistique analogue à celle de rencontrer une fille superbe dans un bar bruyant. Toute la soirée, vous échangez sourire et hochements de têtes. Vous dansez, vous buvez, vous vous criez quelques mots au fond de l’oreille, juste assez pour finir enlacés au dernier slow. Ce n'est qu’une fois assis devant votre poutine au Ashton que vous vous rendez compte que cette nunuche n’a rien à vous dire.

DC Comics nous a gardé dans le bar pendant près de six mois et la poutine s’avère une révélation bien amère.

Oh bien sûr, je ne parle pas ici d’une déroute aussi flagrante que celle de Neal Adams avec le détestable Batman : Odyssey, mais il reste tout de même en bouche un goût indéniable de banalité une fois la lecture terminée.

Où commencer? Pourquoi pas avec le dialogue intérieur saccadé et pathétique à la Frank Miller. Dans les années 90, ce style de texte était parfait pour donner à Batman une voix intérieure dure et bien montrer comment son esprit se concentrait pleinement sur chaque moment, comment chacun de ses gestes était le fruit d’une analyse tactique constante. Aujourd’hui, ce procédé narratif est tombé dans l’obsolescence; c’est un cliché éculé qui suscite plus un attendrissement condescendant qu’une quelconque tension dramatique.

Par exemple :

"Haven’t changed underwear in four days. Ignore it. Work through the itch."
Pour paraphraser le Joker de Heath Ledger : « Why so tedious? » Le dessin de Finch est déjà tellement éloquent par lui-même; ce genre de commentaire en direct accompagnant chaque moment de cette scène s’en trouve investi d’une lourdeur et d’une redondance déconcertante.

Le dialogue pour le reste respire l’ordinaire facile et descend dans des clichés dignes des pires productions hollywoodiennes par moment. Par exemple, je vous déconseille vivement de jouer à prendre une gorgée d’alcool pour chaque cliché de situation ou de dialogue que vous trouverez dans la scène au commissariat; je ne voudrais pas votre coma éthylique sur la conscience!

Et que dire de l’apparition du Penguin dans la page finale! Quatre jeux de mots portant sur les oiseaux dans deux bulles de dialogues! Je ne pouvais m’empêcher de prendre la voix d’Arnold Schwartzenneger en lisant dans ma tête Je trouvais là le même entêtement puéril à réduire un personnage à sa façon de parler que pour le rôle de Mr. Freeze dans l’innommable film de Joel Schumacher.

Autre point de frustration : la disparue se nomme « Dawn Golden ». Sommes-nous de retour dans les années 60 où le commun des lecteurs trouvait sa culture à la télévision locale et en jasant avec le voisin de clôture? Le lecteur de comics d’aujourd’hui a vu assez de spéciaux sur Discovery ou History et s’est assez gavé de Wikipedia pour savoir reconnaîte une référence aussi évidente à l’Odre hermétique de l’aube dorée (Hermetic Order of the Golden Dawn en anglais).

C’est facile, c'est naïf et même quelque peu insultant pour les plus sensibles d’entre nous – surtout en faisant du père de la jeune fille en question un barbu à l’air malveillant prénommé Aleister!

Un peu plus et cette insistance arrivait à battre en redondance cette magnifique mention dans le coin supérieur gauche :

La batcave, vraiment? Qu'est-ce qui vous a mis la puce a l'oreille? La batmobile? Le sou géant? Les costumes? La carte du Joker géante? Le tyrannosaure? Le bat-ordinateur avec BATMAN assis devant?
Quant à l’intrigue, elle semble pour le moment résolument banale : une amie d’enfance de Bruce Wayne est disparue et Batman mène l’enquête. Combien de fois avons-nous lu la même histoire avec le même héros? Batman traque les méchants, il tabasse quelqu’un pour de l’info, il rencontre le commissaire Gordon et ils échangent des tuyaux, il consulte le « bat-ordinateur », Alfred formule quelques commentaires sarcastiques et SOUDAIN C’ÉTAIT UN PIÈGE!

C'est une amère déception que de constater à quel point c'est le traitement visuel de Finch qui donne de la valeur à ce comic; le même script entre les mains d'un autre artiste moins talentueux le dépouillerait de tout intérêt.

Le plus navrant est de lire comment, en juillet, David Finch était si fier d’avoir pu compter sur les merveilleux conseils de Tony Daniel pour écrire son script, comme s’il avait joui par là du mentorat d’un expert reconnu. Daniel est un autre réfugié artistique au pays de l’écriture, un ancien d’Image si je ne m’abuse. Il est également la raison principale pour laquelle j’ai annulé ma réservation pour Batman dont il a fait un joli livre d’images rempli de sottises illisibles.

Finch devrait prendre J.H. Williams III comme modèle et s’adjoindre un comparse comme co-auteur : ce titre profiterait beaucoup d’un polissage du texte effectué par un professionnel chevronné. Pour l’instant, Batman : The Dark Knight est un magnifique portfolio dont on a envie de supprimer le lettrage pour mieux jouir du talent unique de David Finch.

Et j’utilise le mot « unique » dans son sens premier.

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